Sahel
Vous êtes peut-être sollicités à verser de l'argent pour le Mali sur un compte personnel. Pourquoi?
Les besoins sont cruciaux, mais il faut choisir les moyens les plus efficaces. Le CCFD est signataire de la charte de déontologie. Les fonds qu'il récolte sont donc utilisés à bon escients.
Tandis qu'à Bamako règne encore la confusion, le Mali reste coupé en deux. Les populations du nord fuient les exactions et se réfugient dans les pays voisins. La situation alimentaire, déjà tendue à cause des prix des céréales, est désormais critique. Ce sont maintenant des milliers de femmes et d'enfants qui souffrent de malnutrition dans cette région du Sahel. Il est urgent de rendre les semences accessibles aux paysans dans ces régions pour subvenir aux besoins de tous.
Juin 2012
Cette année au Sahel, les récoltes ont été mauvaises, très mauvaises. En cause : une pluviométrie particulièrement réduite et des attaques d’insectes dans certaines régions. « Depuis la fin décembre, les villageois ne cessent d’affluer, en majorité des femmes et des enfants contraints de mendier leur nourriture dans les quartiers périphériques de Niamey. L’exode est observable à l’œil nu » témoigne Mariama Gumarou, chargée de mission d’AcSSA Afrique Verte Niger, une association partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Au Tchad, les femmes cherchent des grains dans les fourmilières, rapporte Oxfam. Une pratique à laquelle les communautés n’avaient pas eu recours depuis les famines de 1984. Habituellement, la période de soudure, autrement dit la période où les paysans ont épuisé leur stock et doivent s’approvisionner sur les marchés, s’étale entre mai et juillet. Or, à la mi-mars, la FAO estimait déjà à 15 millions le nombre de personnes menacées d’insécurité alimentaire, soit 37 % des Gambiens, 35 % des Nigériens, 28 % des Tchadiens, 22 % des Mauritaniens, 20 % des Maliens, 10 % des Burkinabais et 6 % des Sénégalais.
Les États du Sahel avaient tiré la sonnette d’alarme suffisamment tôt pour établir des plans d’urgence en amont. Premier impératif : favoriser l’accès aux vivres encore disponibles aux populations les plus pauvres. Car, en raison des mauvaises récoltes, mais aussi de la spéculation des commerçants qui anticipent la reconstitution des stocks publics, de la cherté du carburant et des difficultés de circuler dans une région secouée par les conflits, le prix des denrées alimentaires grimpe en continu. D’après le Cilss (Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse), (le prix des ) les céréales locales (mil, sorgho et maïs) ont augmenté de 25 à 90 % selon les régions, entre janvier 2011 et janvier 2012. Vente de céréales à prix modérés, distribution de nourriture gratuite, argent contre travaux d’utilité publique, fourniture d’intrants et de semences pour initier des cultures de contre-saison, soutien aux éleveurs : les pays sahéliens ont programmé plusieurs types d’action pour épauler leurs populations les plus vulnérables.
« La communauté internationale est cependant lente à réagir, d’autant que la conjoncture internationale est à la récession» souligne Jean Sibiri Zoundi, administrateur principal du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) de l’OCDE. Exemple : si dès le mois d’octobre, le gouvernement burkinabais avait débloqué 6 milliards de FCFA pour l’achat de céréales, à la mi-mars, il en cherchait encore 85,5 milliards (plus de 130 millions d’euros) pour honorer l’ensemble de ses actions. Quant au Pam (Programme alimentaire mondial des Nations unies), il lui manquait encore 517 millions de dollars, soit plus des deux tiers du budget nécessaire à sa mission au Sahel.
Mai 2012
Au Mali, la crise s’aggrave
Tandis qu’à Bamako la confusion règne, suite aux récents affrontements entre factions militaires rivales, le pays reste coupé en deux. Depuis début avril en effet, les séparatistes touareg et surtout leurs alliés de circonstance - les groupes djihadistes d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Dine - imposent leur pouvoir dans les trois provinces du Nord : Kidal, Gao et Tombouctou. Les populations soumises aux exactions et aux pénuries fuient en masse ces régions. On en a déjà dénombré 320 000. Quelque 187 000 personnes ont trouvé refuge dans les pays voisins (Mauritanie, Burkina, Niger) ; 133 000 autres sont déplacées au sud du pays. « Les urgentistes tentent d’ouvrir des corridors humanitaires au Nord-Mali, raconte Caroline Bah. Afrique verte, elle, concourt à l’approvisionnement en céréales des camps de déplacés à Bamako, Mopti et à Nara, dans la région de Nioro, près de la frontière mauritanienne. Il est clair qu’au Mali une catastrophe humanitaire est à l’œuvre. »
Mars 2012
La crise alimentaire menace
Un déficit céréalier provoqué par le manque de pluies. Des prix des produits vivriers orientés à la hausse sur les marchés. Des conflits armés – combats entre l’armée malienne et la rébellion touarègue attentats de la secte Boko Haram au Nord-Nigeria. Les trois phénomènes se conjuguent et créent une nouvelle crise alimentaire dans la bande sahélienne, de la Mauritanie au Tchad.
Dès le mois d’octobre 2011, les États membres du CILSS (Comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel) ont tiré le signal d’alarme : au Sahel, la sécheresse annonçait de mauvaises récoltes de mil, sorgho, mais et riz et le déficit céréalier avoisinerait les 2.500 000 tonnes, soit environ 25% de la production globale. L’alerte a été vite relayée par le Programme alimentaire mondial (PAM), la FAO et les ONG, démontrant par là même que les comités d’alerte villageois et les services techniques nationaux ont été efficaces.
La crise ? Nous y sommes, ou presque. À l’approche de la « soudure », l’intervalle entre deux récoltes – soit au Sahel, la période comprise entre les mois d’avril et septembre où l’on puise dans les réserves en attendant la prochaine récolte - on enregistre partout une recrudescence des inquiétudes. Pourtant, si l’on se souvient bien, le Sahel avait connu en 2010/2011 une récolte record. Ne cède-t-on pas à l’alarmisme si les paysans ont constitué des stocks et rempli leurs greniers ? « Mais ce n’est pas le cas, réplique Caroline Bah, directrice de l’ONG Afrique verte. Ces populations sont si pauvres qu’elles ont vendu hier l’essentiel de leurs surplus pour améliorer l’ordinaire. »
Accès problématique aux denrées de base
La situation varie d’une région à l’autre et on localise mieux qu’hier les « zones à risques » confirme Michèle Coste, chargée de mission Sahel au CCFD-Terre solidaire. Les observations satellitaires et les relevés nationaux à partir du terrain permettent d’identifier avec plus de précision les villages les plus vulnérables dans plusieurs « poches » : la zone agropastorale de la Mauritanie, le nord de Kayes et Koulikoro ainsi que le delta du fleuve Niger au Mali, 162 communes rurales du Burkina-Faso et les régions de Niamey, Tillabéry et Zinder au Niger.
À Gao (Mali), le kilo de mil s’affichait à 260 F CFA début février. À Tillabéry (Niger), il s’élevait à 270 F CFA. Pourquoi les prix des céréales sont-ils relativement élevés alors que le déficit céréalier régional ne représente que 25% de la production sahélienne ? Les pratiques spéculatives des commerçants grossistes, qui achètent la récolte dés octobre à prix bas au paysan et les revendent au prix fort lors de la « soudure » diminuent les quantités disponibles sur les marchés. La hausse du prix du carburant est répercutée sur les marchandises transportées. Or, comme durant la famine de 2005 au Niger, même si les vivres sont disponibles sur les marchés, la crise alimentaire survient si les populations les plus pauvres ne peuvent accéder à la nourriture faute d’argent pour pouvoir les acheter..
Facteur aggravant en 2012, la fluidité des échanges transfrontaliers est remise en cause. Traditionnellement, les pays excédentaires exportent leurs grains vers les pays déficitaires et amortissent la crise. Ainsi, ces dernières semaines, l’insécurité au Nigeria et au Mali, ainsi que le choix par le Burkina Faso de préserver son marché national vu son équilibre alimentaire précaire, rendent plus difficiles le passage aux frontières des camions qui transportaient des céréales locales au Niger et en Mauritanie.
Des guerres qui accentuent l’insécurité alimentaire
Les conflits qui ont déchiré la région – en Côte d’Ivoire et en Libye – ont provoqué le retour de nombreux migrants sahéliens : environ 200 000 selon les estimations. Autant de bouches à nourrir en plus, autant de transferts de fonds en moins pour leur communauté d’origine. Les affrontements qui se poursuivent au Nord-Nigeria entre les forces de sécurité et la secte Boko Haram perturbent les échanges frontaliers avec le Niger. L’insécurité dans la zone sahélienne s’est accrue avec la présence du Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), une dissidence d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les récents combats meurtriers au Nord-Mali entre l’armée malienne et les rebelles touaregs provoquent un afflux de déplacés et réfugiés : plus de 150 000 personnes, parfois avec leur bétail, avaient déjà fui les zones de combats à la fin février. « Des milliers de réfugiés arrivent par exemple dans la région de Tllibéry (Niger), déjà très fragilisée par la sécheresse », s’inquiète Caroline Bah d’Afrique verte. « Il faut le dire haut et fort, ajoute-t-elle : le Niger est en souffrance. » La Mauritanie aussi, où quelque 60 000 réfugiés ont convergé, en particulier dans les zones de Néma et Fassala.
Il est aussi une population spécifique durement frappée par l’actuelle sécheresse : les éleveurs. « Le manque de pâturages et de points d’abreuvement ont poussé nombre d’entre eux à se déplacer et même dans certains cas les ont conduit à abattre leurs bêtes », indique Michèle Coste du CCFD-Terre solidaire. « C’est un coup sévère porté au pastoralisme, enchérit Philippe Mayol, responsable du service Afrique au CCFD-Terre solidaire. Malgré l’attachement à ce mode de vie, cette décapitalisation forcée risque d’obliger les éleveurs nomades sahéliens à une semi-sédentarisation, ne serait-ce que pour produire le fourrage dont a besoin leur troupeau… ou ce qu’il en restera. »
Bref, la situation au Sahel ne laisse pas de préoccuper. Sur fond de montée des inquiétudes, l’heure est à la vigilance et au renforcement de la solidarité.
Yves Hardy
Que fait le CCFD-Terre solidaire ?
Dès la mi-février, le CCFD-Terre solidaire a débloqué un soutien d’urgence d’un montant de 55 000 € à l’intention d’Afrique verte Niger (AcSSA) et versé aussi 50 000€ à ACORD qui intervient auprès des éleveurs du Nord-Mali. Nous entretenons de longue date des relations suivies avec de nombreux partenaires sahéliens (1). Le soutien à leurs initiatives, originales et efficaces, pour enrayer la crise – des banques de céréales au warrantage (2), en passant par l’essor des ateliers de transformation des céréales dans les villes sahéliennes – ne se dément pas et sera évoqué ici lors des prochaines semaines. En effet, nous leur donnerons régulièrement la parole – tant sur le site que dans le mensuel (« Faim-développement magazine »). Un suivi régulier de la crise alimentaire sera organisé jusqu’à la fin de la période de « soudure » (septembre 2012), afin d’alerter – si besoin est – le public et les autorités.
Le CCFD-Terre Solidaire a une longue histoire et une bonne connaissance des contextes et des enjeux de cette partie de l’Afrique et plus particulièrement au Sénégal, en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Tchad et dans une moindre mesure au Burkina Faso.
De façon logique par rapport à notre identité, notre histoire et nos moyens habituels d’action, nos premiers partenaires dans ces pays sont les associations locales qui agissent sur les pauvretés rencontrées par les populations locales mais également sur les leviers sociaux, économiques, politiques, culturels qui expliquent et favorisent le mal-développement de ces territoires.
Nos stratégies d’action dans ces pays sont issues d’une analyse fine des enjeux et des contextes menés avec nos partenaires locaux. Ainsi nous agissons principalement depuis plusieurs années sur les problématiques liées à la souveraineté et la sécurité alimentaire mais également à la prévention des conflits dans ces pays.
Au niveau de la bande sahélienne, nous privilégions deux méthodologies d’action :
- L’appui aux organisations locales et aux associations à assises communautaires afin qu’elles développent et promeuvent des outils communautaires de renforcement de la sécurité alimentaire en milieu paysans qui ont fait leurs preuves : les banques de céréales et de semences, les bourses d’échanges de semences et de céréales, les greniers villageois et inter villageois, les systèmes de warrantage (récolte déposé dans un magasin général en gage d’un crédit pour financer par exemple le début du cycle de production), le renforcement des filières vivrières (augmentation de la production, renforcement des circuits de commercialisation).
- Le renforcement des espaces locaux de gouvernance participatives pour permettre aux populations rurales de participer au développement de leurs territoires, pour favoriser les gestions locales de conflits, mais également pour qu’elles puissent influer sur les politiques agricoles aux niveaux local, national et régional.
Pour chacun de ces pays, ces deux grands axes d’action sont adaptés en fonction des caractéristiques contextuelles locales et de leurs évolutions