Chers diocésains,
Au cours des 50 dernières années l’accélération de l’histoire a été sans pareille. Qui aurait pu prévoir
l’ampleur de la mondialisation, le brassage des cultures, les menaces du terrorisme ? Qui aurait pu
deviner les turbulences politiques en Afrique ou en Asie ? Comment ne pas être émerveillés et
déconcertés par les avancées de la science dans les domaines de la biologie et du numérique ? Quant
aux inquiétudes sur l’écologie, elles n’ont fait l’objet d’une prise de conscience que récemment.
La crise que nous traversons n’est pas seulement une crise économique, elle est aussi une crise
culturelle et morale. Alors, que pouvons-nous espérer ? Que pouvons-nous changer à la situation
actuelle ? Comment comprendre les grands défis pour l’avenir du monde ? Nous avons sans doute à
faire surgir un autre type de société qui ne résulte pas uniquement de la conception techno-économique
du développement, mais qui prenne en compte « la joie, l’amour, la souffrance, la dignité, autrement dit
le tissu même de nos vies » (Edgar Morin).
Au coeur du monde, les chrétiens doivent continuer à aimer ce monde que Dieu aime et envers qui Il est
plein de sollicitude. Telle est notre conviction profonde.
Je vous propose cinq pistes d’action et de réflexion.
L’anniversaire du concile Vatican II
Tout au long de l’année pastorale 2010-2011, les paroisses, les mouvements, les services et les
groupes divers de notre diocèse se sont mis à l’écoute de la Parole de Dieu. Nombreuses ont été
les initiatives qui ont permis la constitution de groupes de partage autour de la Bible, la mise
en valeur de la Parole dans la liturgie, dans nos maisons, nos écoles, la découverte des
Écritures, etc.
Nous continuerons à mettre en oeuvre les acquis de cette année vécue avec intensité dans
notre diocèse. La Bible, nous devons toujours l’avoir dans une main, y revenir sans cesse. Et
comme le disait le théologien Karl Barth, il nous faut tenir aussi le journal dans l’autre main.
Autrement dit, il s’agit de lire les événements du monde à la lumière de la Parole de Dieu.
À l’écoute du monde
Sixième lettre pastorale, septembre 2011
L’Esprit nous invite en effet – Vatican II le rappelait – à scruter les signes des temps et à les
interpréter à la lumière de l’Évangile. Le Cardinal Suenens, dans son livre Une nouvelle Pentecôte,
écrivait : « L’Esprit ne parle pas seulement dans le silence de la prière. Il parle à travers toute
l’histoire des hommes. À chaque génération, il tient un langage nouveau. À la nôtre, il parle à
travers le prodigieux enrichissement du savoir humain ; à travers la recherche angoissée et
tâtonnante de l’homme confronté avec des problèmes qui ne sont plus à l’échelle humaine. »
À l’écoute de ce que dit l’Esprit à notre Église, je souhaite qu’au cours de cette année
2011-2012, année où l’on célèbrera l’anniversaire du concile Vatican II, beaucoup d’entre vous
puissent lire attentivement la Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et
Spes. Ce document traite des relations de l’Église catholique avec le monde. Il invite à un
regard lucide, ferme mais a priori bienveillant. Pourquoi ne pas constituer sur votre paroisse,
dans votre mouvement ou votre service, un groupe de réflexion sur ce texte important ?
Apprendre à lire les événements de l’actualité
Gaudium et Spes nous conduit à regarder attentivement les évolutions de notre société. Pour
poser un regard de foi sur les événements, à la lumière de l’Évangile, il faut prendre le temps de
s’asseoir et de relire notre vie. Qu’est-ce qui nous arrive ? Pourquoi ce bouleversement dans nos
relations ? Pour prendre du recul sur ce qui nous touche, un moyen nous est donné et qui a fait
ses preuves dans l’histoire récente de l’Église, c’est celui de la révision de vie (voir, juger, agir).
J’aime bien ce que dit Kierkegaard, un protestant danois, existentialiste chrétien du 19e siècle :
« La vie est comme une lettre d’amour écrite en langue étrangère, et que l’on apprend à
déchiffrer peu à peu. D’abord le mot à mot de la lettre, puis le coeur à coeur. Il s’agit
d’apprendre à déchiffrer, à travers les événements de nos vies, cette lettre d’amour que Dieu
nous adresse personnellement. »
On ne peut pas mieux définir la relecture de vie ! Et pourtant, c’est un exercice difficile
aujourd’hui. Notre préoccupation en effet est de toujours « gagner du temps sur le temps », et
nous redoutons de ne pas « être dans les temps ». Comment vivre sereinement dans un
monde où l’action immédiate domine souvent sur l’action mûrement réfléchie ? C’est là
finalement toute la question d’un engagement chrétien au coeur du monde. Il importe de
résister à l’abondance des images qui touchent notre sensibilité et qui nous font parfois perdre
notre rapport au temps et à l’espace.
Mon deuxième souhait est que vous trouviez d’autres personnes avec qui faire révision de vie !
Dans la confiance et l’amitié, mais aussi dans le respect et la discrétion, chacun apprendra ainsi
à suivre Jésus présent dans la vie du monde et à s’engager dans un don plus total aux autres.
Mieux connaître la doctrine sociale de l’Église
Les événements du monde ne sont rien sans une interprétation de ce qu’ils signifient. Nous
sommes souvent démunis pour analyser, découvrir les tenants et aboutissants d’une situation,
faire un discernement, porter un jugement et agir en conséquence.
L’Église possède un immense trésor de réflexion pour soutenir et aider l’action des chrétiens
dans le domaine social. Elle est en quelque sorte « experte en humanité » grâce à sa Tradition
nourrie, au cours de vingt siècles d’histoire, par la Parole de Dieu et la théologie. À l’occasion
de la sortie du Compendium de la Doctrine sociale de l’Église le Cardinal Martino écrivait :
« Tout lecteur de “bonne volonté” pourra connaître les motifs qui poussent l’Église à intervenir
avec une doctrine dans le domaine social qui, à première vue, ne semble pas relever de sa
compétence, ainsi que les raisons d’une rencontre, d’un dialogue, d’une collaboration, pour
servir le bien commun. » Dans ce Compendium sont présentés les grands textes du Magistère
sur des questions aussi variées que le travail humain, la famille, les droits de l’homme, la vie
économique, la politique, la guerre et la paix. Au moment où nous allons vivre des échéances
électorales, il ne sera pas inutile de se référer à ce document pour guider nos choix.
C’est le troisième souhait que je vous adresse : approfondissez l’enseignement social de l’Église !
Formez des groupes autour de sujets de l’actualité : l’écologie, la bioéthique, la famille, etc. Que
des jeunes de Première, Terminale ou en Université ne craignent pas de se lancer dans cette
réflexion ! Les aumôneries se mettront à leur disposition pour préparer des débats avec des
intervenants qualifiés sur tel ou tel sujet.
Les mouvements d’Action Catholique (Mouvement Chrétien des Retraités, Chrétiens en Monde
Rural, Action Catholique Ouvrière, Action Catholique des Femmes, Action Catholique des milieux
Indépendants) pourraient, à ce sujet, mettre l’accent cette année sur l’approfondissement de la
Doctrine sociale de l’Église.
Vers la rencontre d’Assise en octobre 2011
Être à l’écoute du monde, dans une attitude critique et bienveillante, c’est vouloir renouer le
dialogue avec un monde incroyant mais aussi pluri-religieux comme nous invite le concile
Vatican II. Le pape Benoît XVI a annoncé qu’il se rendrait, le 27 octobre prochain, en tant que
pèlerin à Assise pour une journée de dialogue et de prière pour la paix et la justice dans le
monde. Cela montre, à l’évidence, que l’Église est attentive à l’expérience religieuse dans ses
diverses formes. Déjà le pape Jean-Paul II, évoquant la rencontre d’Assise de 1986, a affirmé
que cette rencontre l’avait convaincu que l’Esprit Saint était à l’oeuvre même en dehors de
l’Église.
Le dialogue avec les autres religions reste un point sensible. Il n’est évidemment pas question
de développer un relativisme religieux et de considérer que toutes les religions se valent. Dans
son encyclique Redemptoris missio, du 7 décembre 1990, Jean-Paul II déclare : « L’Esprit se
manifeste d’une manière particulière dans l’Église et dans ses membres, cependant sa
présence et son action sont universelles, sans limites d’espace et de temps » (n° 28).
Nous aurons à coeur de suivre cet événement d’Assise. Pourquoi ne pas susciter, dans notre
diocèse, au cours de cette année, des rencontres interreligieuses ?
Se préparer à vivre Diaconia 2013
Enfin, voici une cinquième manière de nous mettre cette année à l’écoute de notre monde.
Il s’agit de se préparer pour le grand rassemblement Diaconia 2013.
Diaconia sera ouvert à tous les chrétiens de France. Il aura lieu les 10, 11 et 12 mai 2013. Il
veut donner la parole non seulement à ceux qui oeuvrent au service des plus démunis et des
souffrants, mais aussi à ceux-là même qui traversent l’épreuve de la solitude, de l’exclusion,
de la maladie. Et à la manière du rassemblement national Ecclesia de 2007 qui avait pour
objectif de montrer que l’annonce de la foi était de la responsabilité de tous les chrétiens et
non pas de quelques spécialistes (catéchistes), Diaconia concerne tous les membres de nos
paroisses, de nos mouvements et de nos services. Le service de l’humain, c’est l’affaire de tous
les chrétiens, petits et grands !
Tout au long de l’année 2011-2012, les communautés chrétiennes de notre diocèse seront
sollicitées pour faire connaître des situations concrètes de précarité et de fragilité. Une
synthèse de ces situations sera présentée lors d’un rassemblement diocésain qui aura lieu
le 13 mai 2012. Ce rassemblement nous aidera aussi à entrer un peu plus dans la dynamique
de diaconie essentielle à la vie de l’Église.
En conclusion je ne résiste pas à l’envie de vous communiquer cette brève pensée de
Théophile, évêque d’Antioche. Elle est extraite d’un ouvrage dans lequel Théophile exprime
avec fierté sa foi en Dieu : « Si tu me dis : Montre-moi ton Dieu ! Je pourrais te répondre :
Montre-moi l’homme que tu es, et moi, je te montrerai mon Dieu. Montre donc comment les
yeux de ton âme regardent, et comment écoutent les oreilles de ton coeur » (Théophile
d’Antioche, vers 183-185, dans Trois Livres à Autolycus (I, 2)).
Apprendre à regarder et à écouter le monde pour y découvrir la présence de Dieu, c’est faire croître en
nous la foi, l’espérance et la charité. Que cette année pastorale 2011-2012 soit fructueuse pour tous !
Agen, Septembre 2011 Hubert Herbreteau, votre évêque