Le 19 juin 2021, le pape François a autorisé la Congrégation des causes des saints à promulguer le décret concernant la reconnaissance des vertus héroïques du français Robert Schuman (1886-1963), l’un des pères fondateurs de la construction européenne. Il devient ainsi vénérable.
Le pape François a reçu dans la matinée du 19 juin 2021 le cardinal Marcello Semeraro, préfet de la Congrégation des causes des saints. À l’occasion de cette audience, le pontife argentin a autorisé la publication de sept décrets reconnaissant dix nouvelles martyres tuées en haine de la foi en Pologne en 1945, un premier miracle attribué à l’intercession d’un jésuite allemand du 17e siècle et puis cinq vénérables. Parmi ces nouveaux vénérables, Robert Schuman, l’un des Pères du projet européen, est sans doute le plus connu. En reconnaissant l’héroïcité de ses vertus, l’Église catholique fait de cet ancien ministre français des Affaires étrangères et président du Parlement européen un modèle de sainteté en politique.
Évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé voue une très grande admiration à Robert Schuman. La mère du prélat français était la collaboratrice personnelle de l’homme d’État.
Comment réagissez-vous à l’annonce de la reconnaissance des vertus de Robert Schuman ?
Mgr Matthieu Rougé : Avec une très grande joie, parce que Robert Schuman a été un homme de vision pour la vie de notre pays, pour sa réconciliation interne et pour la construction de l’Europe. Et aussi parce que Robert Schuman a donné le témoignage d’une vie de vrai chrétien profondément ancrée dans la prière, d’une vie personnelle d’une grande simplicité – pour ne pas dire d’une grande pauvreté – qui se trouve à rebours des critiques qu’on peut faire – parfois légitimement – de la vie politique. Il est l’exemple magnifique du fait qu’on peut porter du fruit et que la sainteté de vie et la fécondité politique peuvent marcher ensemble.
Quelle est la nature du lien familial qui vous unit au nouveau vénérable ?
Il se trouve que ma mère a été la collaboratrice personnelle de Robert Schuman pendant de nombreuses années. J’ai grandi dans une famille où l’admiration pour cet homme était intense. Il a d’ailleurs été un des témoins de mariage de mes parents. C’est donc une figure qui fait partie de notre panthéon familial ! J’ai toujours entendu avec beaucoup d’émotion ma mère parler à la fois de ce qu’elle a pu vivre à ses côtés dans les débuts de la construction européenne ou quand il occupait d’autres portefeuilles ministériels. Elle m’a aussi raconté la manière dont elle pouvait l’accompagner dans sa deux-chevaux lors de certaines grandes manifestations publiques. Et à titre personnel, ayant été pendant huit ans l’aumônier des parlementaires, je suis très sensible à cette figure d’une sainteté possible en politique.
Le pape François l’a souvent donné en exemple d’un authentique engagement chrétien dans la sphère politique. Pourquoi Robert Schuman est-il un modèle de politique chrétienne ?
Je dirais qu’il y a trois choses, qui existent d’ailleurs sous un mode moins visible chez certains responsables politiques que j’ai croisés aujourd’hui. La première chose est qu’il est un homme de vision, qui ne s’est pas borné à gérer le court terme voire même à se frayer un chemin par la communication dans le court-terme. C’est quelqu’un qui a eu une vision d’avenir pour notre pays en Europe. C’est extrêmement important pour un politique d’avoir cette profondeur de réflexion qui ouvre des chemins d’avenir. Ensuite c’est quelqu’un qui a tenté de mettre en œuvre sa vision et donc de construire – sans en rester à quelques slogans comme c’est parfois le cas chez certains chrétiens qui veulent s’engager en politique. Il a réfléchi à la manière effective de mettre en œuvre ce que sa vision lui suggérait dans le temps concret de l’histoire. Enfin, il y avait une véritable unité de vie chez cet homme. Il a vécu un peu comme un moine en politique : célibataire, il allait à la messe tous les jours, récitait l’office divin, était oblat d’un monastère bénédictin. Sa vie témoigne d’une très grande simplicité. Quand il n’était pas dans un ministère, il logeait dans un appartement de deux pièces à Paris. Je me souviens de ma mère nous racontant que lorsqu’il y avait des réunions importantes dans son bureau, elle sonnait chez les voisins pour avoir quelques chaises supplémentaires…
Vous voyez d’autres modèles de sainteté en politique ?
Il y a la grande figure de saint Thomas More, qui est ancienne mais a été donnée comme patron aux hommes politiques en l’an 2000 par Jean Paul II. C’est une figure suggestive pour aujourd’hui d’un homme enraciné dans la prière et la réflexion et ayant en même temps un engagement politique de haut niveau. Une personne qui a eu le courage d’aller jusqu’au martyre pour être fidèle à sa conscience. Il y a d’autres figures, comme celle de saint Louis, elle aussi utile aujourd’hui encore. Néanmoins, il est assurément difficile d’évoquer des noms plus contemporains… mais je peux dire que parmi les parlementaires français que j’ai rencontrés, il y avait chez certains une authentique graine de sainteté.
Au sein de votre diocèse, vous avez lancé un réservoir d’idées, Philadelphia, qui au travers notamment d’une revue entend réconcilier la politique et l’Église catholique. Comment ré-insuffler l’espérance chrétienne dans le monde politique aujourd’hui ?
C’est une époque très difficile, ce qui doit nous stimuler. On ne peut pas être position contre position, et avant même de parler de la place des chrétiens dans la politique, il faut réfléchir aujourd’hui à ce qu’est la mission politique en général. C’est la politique qui est en crise. Le projet Philadelphia est habité par cette question : « Qu’est ce qui porte la possibilité d’une fraternité commune ? » Il y a un besoin de se ressourcer dans une réflexion qui soit riche, fine, enracinée et novatrice en même temps. Il faut aussi être capable de mettre concrètement en œuvre une vision. Le point de départ pour l’engagement politique est souvent un engagement local. Avant de se désoler de ne pas pouvoir percer sur le plan national, les chrétiens peuvent s’engager sur le plan local où s’amorcent des engagements politiques de plus niveau ensuite. Enfin, je crois que les chrétiens ont à cultiver une véritable unité de vie. C’est-à-dire une vie construite sur la droiture et l’humilité. Il faut aussi être capable de dénoncer le mal tout en se félicitant du bien, de mettre en lumière des enjeux éthiques avec courage, en étant prêts à aller jusqu’au martyre, mais sans sortir de la bienveillance à l’égard des personnes.